
Comme tous les ans, je suis invité à faire contrôler mes yeux. Je suis rassuré, mes yeux voient, encore.
Le champ visuel est une torture, puisqu’on y devine, œil après œil, d’épouvantables attaques martiennes venues du fond de l’écran. Parfois même je les imagine, lassé de cliquer frénétiquement sur le mulot.
Cette année, j’ai vaincu au moins une centaine de scuds issus du cosmos.
Le patient impatient patiente encore moins. Il faut libérer le parking au plus vite car l’occupation foncière par les bagnoles atteint son paroxysme. Les jeunes femmes de l’hosto commencent à stationner sur le gazon tout au bout de l’usine à maladies. Elles clopent, les jeunes femmes, à grandes bouffées. Manifestement le monde est à l’envers puisqu’il n’apprend plus rien à ceux (celles) qui devraient savoir. Le patient n’a pas encore sa puce sous la peau, il accomplit au pas de charge un parcours de santé au sein d’un immense monstre hospitalier où les tâches parcellisées à outrance vous plongent dans un abîme complétement déshumanisé. On passe d’une machine à l’autre, car la précédente trouve mon œil rétif, tandis qu’un enfant effrayé crie de toutes ses forces dans la pièce voisine.
D’abord montrer patte blanche
La sécurité identitaire bat son plein avec les évènements religieux qui affectent la planète terre. Le monsieur débonnaire à l’entrée, las de faire une phrase, murmure « sac », sous-entendu « ouvre ton sac! »
Cette année, autre nouveauté, mon dossier est devenu incomplet. Passage par la case bureau des entrées.
Carrefour l’avait imaginé dans le passé: pour la coupe du fromage, prendre un ticket.
Le monstre hospitalier le fait aussi, prendre un ticket. Le hall d’entrée est rempli de consoles. On chausse ses lunettes, on appelle un interprète, des milliers de doigts désaseptisés s’agitent sur les écrans.
Mais non, cette année le ticket d’accès me dirige vers le bureau des entrées. Sans aucune précaution oratoire, la dame du guichet derrière sa vitre blindée affiche C060. C’est bien moi qu’on attend. « carte Vitale » et « carte d’identité »!
Vous êtes bien monsieur X?
Ne pas tenter d’y voir plus clair, en face de moi une personne qui exécute sans expliquer…même si je lui fais observer que l’attitude est policière, rien n’y fait, on n’explique pas, ce n’est pas prévu dans le règlement.
La dame s’empare lestement de ma carte d’identité et scanne le document.
Ainsi donc, les hackers russes pourront se servir de ma bobine, et du reste, sans même avoir besoin de me le demander.
L’informatique hospitalière , (et pas que! comme on dit maintenant), on le sait, est fragile. Surtout depuis qu’on constate que nos dossiers de santé et de maladie ont la fâcheuse tendance à circuler dans le monde entier.
Je n’ai évidemment aucune confiance dans la confidentialité du monde hospitalier et médical. On l’aura compris, mon moi ne regarde que moi.

